poèmes

Ne cherchez pas, en vain, à vivre de ces signes,

En pâture, jetés comme à des chiens voraces.

Les mots sont abusés. Le lucre les encrasse :

Mercantile pillage ou bien plaie d'entre-ligne.

 

Qui veut bien recueillir, en ces maudites vignes,

Le sang frais des mots purs que le siècle, en impasse,

Détourne ainsi qu'un fleuve où plongent des rapaces ?

Bradés au médiocre, il est des mots très dignes

 

De l'estime de l'homme : eux seuls gardent encore,

Aux portes du silence, harmonieux l'accord

Signé entre coeur fou et sage conscience.

 

Va, poète, écris ! Les remparts de la pensée,

D'affiches, sont couverts... Si tu veux repousser

Les assauts du mensonge, honore l'alliance...

 

                     *

 

Dites-moi, professeurs et maîtres de savoir,

Patentés et laïcs, jongleurs fous de programmes,

Etes-vous ignorants du complot qui se trame

Contre l'humanité de l'homme et son pouvoir ?

 

Quelles valeurs et qualités font notre gloire ?

Les paravents du siècle ont jaspé nos neurones

Mais le coeur se grisaille : en ces cités atones

Se crache une douleur sans espoir ni mémoire,

 

Violente et creusant nos puits d'intolérance.

Dites bien aux enfants le lieu de leur naissance :

La Terre... Ils sauront tôt - n'en déplaise aux pillards -

 

Qu'un si rare berceau peut devenir tombeau ;

Les enfants à venir seront privés d'oiseaux

Si l'on n'arrête pas cette ignoble fanfare...

 

                    *

 

Le long procès du monde aide l'être qui lève.

Nous pataugeons, piteux, en d'étranges délices

Qui lestent nos destins, communes cicatrices,

D'ignorance coupable ; en nous, plus rien ne rêve...

 

Numérique chimère, arrache enfin tes glaives

De cette chair cosmique offerte comme un leurre

A ces braves géants, apprentis destructeurs.

Faux bonheurs en sursis, n'espérez pas de trêve

 

Avant qu'en vous l'essence affleure en fleur de lys,

Transformée, lentement, de sève en propolis,

En rehaussant le coeur. Notre regard est sombre,

 

Déporté sur le monde ; il fut jadis veilleur,

Il se voudrait voyant, inutile voyeur

Des signes de détresse, à peine un vaisseau sombre...

 

                    * 

 

Pour que la nostalgie ne soit plus douloureuse,

Mon désir erratique en désaxe les cibles ;

Je vous garde en mémoire, ô voeux inaccessibles

Qui font briller les yeux d'aveugles tubéreuses.

 

Mon royaume est criblé de dettes fabuleuses,

Ma couronne est futile et mon sceau peu crédible.

Mon coeur, sois libertaire et demeure infrangible

Quand la vie te délie des joies ensorceleuses !

 

Concurrence tueuse, ourlée de stratagèmes,

Cesseras-tu un jour tes pénibles baptêmes ?

Comme Orphée qui d'or fin surligna son regard,

 

Orphelin de lumière, exilé d'innocence,

Je vais en l'avenir, chercher réminiscence

De ce puissant sillon où, faible, je m'égare...

 

                     *

 

Nulle prétention d'ajouter au tumulte,

De grimper à cocagne en clamant ma présence,

D'assigner le désir à folle résidence,

Condamnant l'idéal à finir en volutes.

 

L'âme a-t-elle évité violence et insulte

- Des records de focale aux standards de l'outrance ?

Ne donnerai-je abri, sur leurs chemins d'errance,

Qu'à ceux-là dont le coeur n'entre jamais en lutte ?

 

Je rame en poésie mais la barque tient bon :

Vos radeaux d'utopie ont leurs mâts moribonds

Et leurs voiles noircies du long souffle des guerres...

 

Je ne suis pas d'ici ni d'ailleurs mais en moi,

En cette geôle exquise, optant, au moindre émoi,

Pour la fuite en jetant mes clés dans le désert.

 

                     *

 

Chevalier sédentaire, écuyer des saisons,

Tu fus, en d'autres temps, rebelle créatif

Quand, lassé de cueillir, tu imposas ta griffe

A notre Terre-Mère. En semant de raison

 

Ce qu'il te fut donné de goûter à foison,

Tu défrichas d'abord pour nourrir les natifs

Des siècles en chantier, sillon méditatif

Qui présente au soleil vitraux et floraisons.

 

La Science, lancée à l'assaut des famines

Et griffonnant, plein champ, sa chimique doctrine,

Fit passer le paysan à la moulinette.

 

"Tous en ville ! Et qui veut chevaucher sa machine

Amassera le blé sans courber trop l'échine !"

Mais où sont les moissons de Jeanne et de Ninette ?

 

                     *

 

Ô encore une nuit ! Encore un jour et puis

Un matin dévoré au banquet des couleurs,

Aux pieds multiples du soleil, sécha ses pleurs

Et le zénith ruisselle aux margelles des puits...

 

Si demain je m'éveille et que dans mes yeux luit

Un peu de cette joie qui dilue la douleur,

Je serai funambule, arlequin d'entre-fleurs.

Crépusculaire miel, si semblable à celui

 

Du vieil ours englué qui goûte à l'infini

Privilège : être en vie ! La mort pille les nids

Où couvaient les yeux clos des fantasmagories.

 

Les décors du destin vont du plus simple à l'ample

Mais gare aux entonnoirs qui serviraient de temples

Aux railleurs du symbole et de l'allégorie !

 

                     *

  

L'homme est tombé en mésentente avec lui-même.

Son miroir cognitif lui masque ses limites ;

Son ventre d'utopie n'engendre que marmites,

Ragoûts de violence où flottent les emblèmes

 

Des enfers portatifs... La tambouille est extrême :

Du roulis coulissant et des jours et des nuits

Au report incessant des joies, tout cela nuit.

Moi, je n'engage à rien sinon aux stratagèmes,

 

A fuir tous les duels où chacun, l'autre, imite

Se croyant sage ou roi et fils aîné du mythe.

La victoire est acquise aux tambours de l'avoir

 

Mais laisse un être exsangue, outré de son ennui,

Malaxer son étoile, avec ses mains de nuit,

Pour nourrir, en son coeur, d'innombrables trous noirs...

 

                    * 

Je me suis facturé, au poids de la déprime,

Les automnes ventrus où chaque fleur fanée

Disperse mes secrets, de solitude, ornés.

Il se peut qu'à l'été, mon destin se ranime.

 

Saurais-je tirer gloire à barbouiller mes crimes

Du pastel innocent de mes vertes années,

Trois couches plutôt qu'une, en mon coeur suborné ?

Phantasmes absolus et rêves pseudonymes,

 

Si un jour, j'arpentais vos royaumes ultimes,

Laissez-moi rendre hommage aux muettes victimes

Qui ne purent offrir aux lascives abscisses,

 

L'impalpable ordonnée puis se pondre un repère

En pleine basse-cour de l'entre ciel et terre

Et Sisyphe s'endort bien que ronfle Narcisse...

 

                     *

 

On n'écrit pas la poésie, on s'y adonne.

Les mots sont ses enfants. Sur eux, elle a pouvoir ;

Pourtant jamais n'impose - en puissance et en gloire -

Tribut pour son offrande alors qu'elle pardonne

 

A tous ceux dont la plume à voix basse bourdonne

En ce coeur tout sonore, enfin... qui a cru voir.

La page est un miroir double face et parloir

Où l'ange, recueilli, écoute sa madone.

 

Fonds-toi dans le décor... Ne cherche aucun abri.

Ouvre-toi au grand souffle : il n'est d'autre pari

Que d'être officiant de ces vertus cosmiques

 

Qui te détrôneront de l'assise égotique.

C'est là que de poète, on devient impalpable

En laissant tout son être apposé sur la table...

 

                     *

 

Mes sonnets ne sont point classiques et parfaits

Comme j'aurais voulu en offrir à ces dames.

J'ai perdu bien souvent le merveilleux Sésame

De ma caverne folle, emplie de mots surfaits

 

Qui riment, rutilants, trésors aux dieux soustraits.

J'ai tant usé de l'être et de ses amalgames ;

N'ayant pas, de naissance, eu accès à mon âme,

Je cherche, sans douleur, ses sirupeux secrets

 

Pour masquer l'amertume où chaque jour se baigne,

Où l'étoile se noie dont j'attendais le règne.

Je fus nourri aux seins d'impudiques chimères,

 

Gavé de clairs-obscurs à leurs gorges d'emphase ;

Je fus ivre à demeure, avare en mon extase.

Illisibles destins, qui connaît vos grammaires ?

 

                     *

  

Mais que dure, hors l'instant, le sourire des muses

Si nous ne l'avons pas tout décoré de mots,

Guirlande syntaxique en saison de huis clos ?

Qu'importe notre langue - ordinaire ou abstruse,

 

Nous captons des beautés dont seule la plume use

Car le monde est aveugle à d'aussi doux émaux

Dont les parfaits reflets entourent d'un halo

Les amours égarées dans ce siècle où l'on ruse.

 

Si la Lune était rose et l'espoir toujours fou,

J'oublierais que le temps fait trop souvent de nous

Des gibets de douleur en plein champ de regrets.

 

Ô ma belle, si belle, approche-toi, butine

Dans mes friches d'amour où, lâche, je m'obstine

A goûter au pollen et de rose et d'ivraie...

 

                    *

 

Gigantesque carnage, agonie planétaire :

Voici tout le passif de la quête insensée

Où l'homme se fourvoie à force d'encenser

Idoles gangrenées, violences austères.

 

Voulez-vous piétiner celui qui reste à terre

Et jouer le jeu des ténèbres annoncées ?

Mais que vivre demain tant l'horreur amassée

Par l'ego millénaire a rougi l'estuaire ?

 

De la lumière, un peu, juste ce que réclame,

Depuis sa source claire, à l'océan, notre âme...

La vie triomphera puisqu'elle accroît l'amour

 

Qui seul, en connaissance, affiche son programme.

La vingtième station est au bout de nos rames

Mais la tempête dure et sombrent les discours...

 

                     *

 

Au soir, la plume est lourde et les pensées sournoises...

Toute blanche et légère, à tous mes flux, soumise,

La feuille enfin se fie aux ordonnées exquises

Où mon âme engourdie, avec l'ego se croise,

 

Engendrant des soupirs et chargeant mon ardoise

- J'entends rire d'ici Khayyâm et puis Hafiz.

Le réel, arrogant, assène ses devises

Mais mon blason d'azur réplique en bleu turquoise !

 

Or, le seul alibi pour ma présence au monde

Est le nom que je porte, alors je vagabonde,

Mes racines tressées au ventre des fontaines

 

Et mes branches d'espoir portant fruits d'amertume.

Au soir, la plume est lourde et signe sur l'enclume

Un contrat provisoire, assurant toute peine...

 

                     * 

 

A ma mort, je ne laisse, à part mes enfants-rois,

Que ma poésie - don qui s'apprécie posthume...

Et voici, tout rimé au hasard de la plume,

Un testament dressé comme un cheval de Troie

 

En ce jardin futur où poussent des courroies,

Des clés sans leur serrure et fine fleur d'enclumes.

Surtout ne touchez pas à mes livres d'écume,

Imprimés sous la vague et passant les détroits :

 

Chaque mot qui surnage est île de mémoire.

Miroirs intemporels, jalons flous du savoir,

Les mots sont notre sève et leurs fruits, purs symboles :

 

Ils déposent l'image au parvis de nos rêves

Et laissent au silence avec son vent qui lève,

Le soin d'appareiller, chargé de paraboles...

 

                    * 

 

J'ai perdu des saisons, le pur fil conducteur

Sur lequel, funambule, artiste ombilical,

J'ai fait l'aller-retour entre l'azur bancal

Et cette cale stable où survit le bonheur.

 

Je suis sorti d'un ventre, altérant d'heure en heure

De pures visions qu'à ce balcon royal,

Mon cerveau mou capte en son crâne initial.

De l'outre limbes, l'âme a contemplé l'auteur

 

Dont elle a, en nos vies, l'ample réminiscence.

Suis-je seul à jouir du droit à l'ignorance ?

A chacun son verbe être et ses illusions !

 

Or, chacun dégrossit sa matière vitale

Jusqu'à ce filon rare, enrobé de cristal,

Qui pousse en nos coeurs froids, les feux des fusions.

 

                      *

 

Chevalier taciturne, en berne est ma bannière :

Elle fut tissée par un vent bien inspiré,

Modulant son filage, insufflant, tempéré,

Aux orgues de l'image - en trame de tuyère,

 

Tout le clavier des mots, sonore bestiaire

De signes exaltés. Cette feuille, atterrée,

Jonchée là, sous ma plume, à l'automne, altérée,

M'offre un aller-retour en terre imaginaire...

 

Je reviens de là-bas comme d'un beau voyage :

Alors chaque poème a l'air d'un témoignage

Des parcours imprévus vers un ailleurs d'ici

 

Afin que se relève en chaque être ce temple

Dont l'ego fait la ruine et, tout repu, contemple

Ce qu'il y reste d'âme ou de cœur en sursis.

 

                     *

 

Le ciel s'est embrasé ; son sang flammé rappelle

A mon coeur qu'il n'est plus rien sinon braise morte.

Sertis de nostalgie, mes regrets, je colporte,

De l'hier imbécile aux lendemains cruels.

 

Or, je cherche une issue qui ne soit pas charnelle.

Que mon phantasme obsède, avive et insupporte

Ma grossesse rêveuse, achevée - que m'importe !

D'un coup de blues perçant ma fine fontanelle !

 

Sur ma galère molle, un jour je serai seul.

J'écrirai des sonnets, silencieux linceuls

A jeter à la mer en doublant le tricorne...

 

Je n'ai que trop rêvé, pardonnez-moi l'offense.

Combien ont cru pouvoir replonger dans l'enfance

Pour caresser les fleurs et parler aux licornes ?

 

                     *

 

Je n'ai pour seul trésor qu'une douleur commune

Et partage alentour la monnaie de ma peine.

Las ! Elle sonne faux, trébuche et puis se traîne

Jusqu'à cette parfaite, oublieuse lagune

 

Où l'on jette une pièce, un soir de pleine lune...

Les anges, en silence, exhument des fontaines

Nos voeux les plus légers et ceux qui nous enchaînent

Afin qu'ils soient exempts des coups de l'infortune,

 

Jalouse de ses proies. De la racine au fruit,

Que lumière soit faite ! Or, la sève, sans bruit,

N'a d'autre volonté, au souffle des saisons,

 

Que d'aller et venir entre terre et soleil

Et la marche du monde obligeant à l'éveil,

Chaque être a pour devoir de n'aimer qu'à foison.

 

                     *

 

Un soir d'humeur bancale où même un rat s'esseule,

Les grands mythes raillaient le cul-de-basse-fosse

Où crabes et requins rêvent d'être albatros.

Terroriste est la poutre et complice, la meule.

 

J'enquête sur le flop que s'offre l'être veule

Lorsqu'il prend son bain nu dans son moite pathos

Mais je lève le camp puisque les fleurs sont fausses,

Qu'il n'y a pas de pain, pas même un brûle-gueule !

 

Or, il est un pays dont chacun est le roi :

Sa frontière, ami, les yeux fermés se voient.

Ne dresse pas de carte ! Au coeur est la boussole.

 

On te dira : "fais-ci, fais ça", n'importe quoi,

De replâtrer Babel et d'encenser les oies.

Ne laisse pas ton âme étouffer en sous-sol...

 

                    * 

 

J'avais subtilisé un vrai lézard gothique

Qui traînait dans la crypte où mes nuits écaillées

Trouvent souvent refuge. Or, mon rêve, étayé

Par les rayons tangents d'une lune arabique,

 

Semblait s'être nourri des reflets elliptiques

Que ce saurien giclait de ses yeux émaillés.

Dis-moi, suis-je loufoque ? Ai-je l'air débraillé ?

Bouffonnerais-je ? Ah, que j'aime effleurer, lubrique,

 

Le ventre de la terre et les cuisses du ciel !

Mais ce lézard était d'humeur séquentielle :

Il dévora l'illusion et puis la fange…

 

Qui peut entendre et voir l'oraison du vitrail ?

Si perle de l'azur, le sang de mes entrailles,

Que ce tag indispose et le diable et les anges !

 

                     *

 

Chacun de nous, victime, à son heure, est bourreau

Et garde énormément le libre choix des armes,

A ce point qu'il oublie de déclencher l'alarme

Pour que le train d'enfer reste dans le fourreau.

 

A fourbir sa revanche, à creuser son accroc,

Chacun de nous fulmine en préservant son charme :

Il faut se tenir droit comme un jambon de Parme,

Cacher sa poutre-index sous ses vade retro.

 

Héritage archaïque et sanglante habitude,

La violence accroît le poids des servitudes.

Vois l'Histoire abreuver l'opulente misère

 

De son écume rouge et le siècle, à genoux

Semble si mal se clore ! A bien peu d'entre nous,

Il sera consenti de survivre au désert...

 

                     *

 

J'ai le monde en horreur, sa rumeur, j'abomine,

Ses dessous et son strass, ses cachots, ses palaces...

Dieu merci, je m'exècre et baigne dans ma crasse,

Le chemin vers mon cœur n'est qu'un vieux puits de mine.

 

Le poète, en rimant d'humeur laborantine,

Récure sa fiole et touille sa mélasse ;

Il se tient à l'affût des plus petites traces

De vie pour que la formule, un jour, se butine...

 

Je suis grave à toute heure et léger de naissance,

Loin des causes perdues, cernées de violences...

Moelleuse est ma démence, inutile l'outrage.

 

Or, j'ai grande fierté de mon déséquilibre

Car il ne nuit qu'à moi ; ceux qui m'aiment sont libres

Puisque jamais l'amour ne se prend en otage...

 

                    * 

 

Je marche vers la mer... Elle respire encore :

Son souffle se faufile en caressant la dune

Où parfois, je recueille une larme de lune.

Que l'étoile scintille et saupoudre ses ors

 

Au creux de ma prière ! Indécise est l'aurore

A l'heure de l'assaut mais la nuit, sans rancune,

Lui laisse son lit bleu, tout nacré de lagunes.

Un lever de soleil vient crever le décor :

 

Que le ciel est énorme et je suis si petit !

Tout mon être est en fête et mon coeur, confetti !

Les tambours invaincus des franges océanes

 

Roulent en fleur d'écume un tempo de victoire

Qui fait vibrer le roc, millénaire butoir ;

Ainsi la terre et l'eau peaufinent leurs arcanes...

 

                    * 

 

En fuite sont les fées, en apnée, les sirènes ;

L'ondine a déserté la lie de nos rivières

Tandis que les lutins se cachent sous des pierres.

Ils se taisent, nos vieux dont la mémoire est pleine.

 

Tout le monde fait face à l'écran fumigène

Et craint de zapper là où surgit la misère

Mais chacun se disculpe, irriguant son désert

Pour planter son drapeau, ses haut-parleurs, ses chaînes.

 

D'ailleurs, nul ne prétend avoir capté ces voix

Qui nous chantaient jadis, la grandeur des sous-bois,

La magie sous-marine et le cours des légendes.

 

Serais-tu seul, poète, en deçà de tes bornes,

A tolérer les trolls, les djinns et les licornes ?

Ce siècle est goudronneux et bétonne ses landes...

 

                    * 

 

Un jour où j'aurai distraitement oublié

De respirer cet air, jadis plein, pur et libre,

Il faudra de bon gré, jusqu'aux nerveuses fibres,

Demander à ma chair : "veux-tu me délier ?"

 

J'irai porter au ciel un grand coup de bélier ;

Obtiendrai-je pardon, l'azur en équilibre ?

Et presque à l'arraché, voici le corps qui vibre

Tel un vaisseau fantôme aux flancs exfoliés.

 

J'irai nourrir mon âme en des vasques profondes

Où Dieu, à chaque instant, élabore des mondes.

Pourvu que j'incorpore à sa sphère invisible,

 

Source des univers, centre des énergies !

Mais viendra le retour vers cet autre logis,

Foetal et provisoire, au parvis du sensible...

 

                     *

 

Vois la robe tombée des feuilles jaunissantes

Et la chair des statues qui perle avec l'automne.

Vois le jour mélanger ses gris les plus atones

Pour le plaisir discret des larmes patientes.

 

C'est la saison où toute joie est finissante,

- Facture d'existence et soldes monotones.

Toute l'âme s'effeuille et le coeur qui s'étonne

D'être seul à débattre avec ce ciel de fiente !

 

Déluge monochrome, offre-moi tes senteurs

De sous-bois délavés qui bavent leurs moiteurs,

Avant que tout ne gerce ou gèle ou se fissure !

 

Toute sève retourne au sein de ses racines ;

Le paysage est lourd de blancheurs assassines

Qui vous figent le sang à la moindre blessure...

 

                      *

 

C'est à vous, si souvent, je l'avoue, que je songe

Quand je vois dans le ciel des chevaux s'avancer,

Franges du crépuscule aux crinières lissées.

Au creux de ce galop où les étoiles plongent,

 

Ton visage apparaît et la nuit te prolonge,

Posant sur tes cheveux son châle défroissé

Où d'amples galaxies viendront bientôt danser

Pour couronner le tout d'un silence à rallonges.

 

Ma plume est au plus mal : je rêve à haute voix !

La feuille blanche penche et jamais ne prévoit

De prendre son envol avant de toucher terre.

 

La nuit est une femme... En attendant le jour,

Elle berce mon âme et comprend mon amour

A ce point qu'en nos yeux affleurent des mystères...

 

                     *

 

La lune est reconnue : voyante, pâle et pleine.

Si pour elle, j'apprête une poésie lente,

Qu'elle serve, ce soir, de gondole fluente,

Transmutable, à minuit, en barque souveraine !

 

La lune est définie : nacrée ou porcelaine.

Privée de vents, de pluies, rien ne la violente,

Pas même ce nuage aux formes déchirantes

Ni la mélancolie, traînant ses vieilles chaînes.

 

Nul ne t'a protégée de ces grêles stellaires,

Astéroïdes voyageurs, blessant ta chair

Et pourtant tu es belle... Ainsi, tout, au ciel, semble

 

Si pur, presque parfait lorsque tu prends la pose.

Je sais que tu es fleur : près de toi, blanche rose,

Dans le pré de la nuit, les étoiles s'assemblent...

 

                    * 

 

J'aimerais dégorger mes couleuvres anciennes,

Tous mes fonds de tiroir et mes vieux conteneurs

Où je stockais le fond de l'air de ma douleur.

Voici le printemps fou : son urgence est la mienne.

 

J'aimerais tant aimer et puis, quoi qu'il advienne,

Aimer encore et vivre avec, devenir fleur

Puisque seul un soleil peut réchauffer nos coeurs.

Avec le temps qui nous libère ou nous aliène,

 

Viendront ces jours bénis où je me croirai sage,

Devenu qui je suis, devinant cette plage

Où viennent s'échouer nos regrets et nos rêves.

 

Je ne suis que poussière ; or, je parle aux étoiles

Sans savoir de prière et déplorant le voile

Sur mon regard, tombé mais que Toi seul soulève...

 

                    *

 

Nous irons tous un jour, nous faire peser l'âme

Par l'ange consacré à cette humble besogne ;

Nous lui présenterons, en vrac et sans vergogne,

Le poids de nos tourments, de nos actes infâmes

 

Et les joies calibrées, encerclées par les drames...

Nous tous, les presque humains, ceux qui crient, ceux qui grognent,

Les corrompus boueux, médiatiques trognes,

Nous devrons déposer l'intime de nos trames,

 

Les couleurs et le fil, délavées, décousus.

Le livre de la vie, en un jour, qui l'a lu ?

Il faudra redescendre et peaufiner l'ouvrage.

 

Ne négocie pas trop longtemps avec ton ange :

Il a déjà prévu cet unique mélange,

Tout d'amour et de chair et le prix du passage.